FANNY
PENTEL
REGISTRE DE MÉMOIRES SENSORIELLES
REGISTRE DE MEMOIRES SENSORIELLES
Ce registre d’images de peaux fait suite au constat de la difficulté de retranscrire en image une sensation. J’ai mis en place un protocole simple de manière à entrer en contact avec la personne photographiée. Il s’agit d’une poignée de main qui dure autant de temps que le souhaite le sujet. Ce geste, la plupart du temps automatique, se transforme en un temps d’exploration des sensations tactiles. Des crispations, des regards fuyants, le besoin de combler un malaise par la parole, sont autant de réactions observées avant la prise de vue. Paradoxalement, ce temps fait également surgir des perceptions profondes. Ces échantillons de peaux sont le résultat d’un temps passé à l’écoute des sensations tactiles. Je les conserve scrupuleusement afin d’y replonger.
Texte de Henri Guette à propos de la série Registre de Peaux.
Comme une poignée de main
Fanny PENTEL, Registre de peaux, 2017
Texte : Henri GUETTE
Rien en apparence de plus simple qu’une poignée de main. Comme bonjour, des salutations, des remerciements, un accord. Fanny Pentel se saisit de ce geste dans le protocole qu’elle met à l’oeuvre avec Registre de peaux. L’artiste échange une poignée de main avec ses modèles, en l'occurrence des proches. Cela, dans la vie ne prend qu’une fraction de seconde, mais ici pourrait durer une éternité. Elle ne laisse pas le modèle lui lâcher la main mais suspend le mouvement, étire le moment. Quand enfin le contact se rompt, Fanny Pentel vient photographier en gros plan des détails de la main. En conclusion, elle demande un mot au modèle pour qualifier les sensations éprouvées.
Dans cette rencontre se joue quelque chose d’infime et de fondamental. La poignée de main, banale, est symbolique. On ne questionne même plus ce geste de convention construit par des siècles de vie en société. Hormis les comportementalistes, personne ne recherche dans les mains moites, les pulsations minutes et les doigts serrés des réflexes animaux. L’approche sensible de l’artiste révèle le trouble qui naît d’un contact prolongé. Fanny Pentel recherche cet indescriptible qui caractérise les rapports humains.
Devant la grille, trois images par huit, quelque chose échappe au spectateur. De l’instant fusionnel de la rencontre, il ne reste que des traces infimes : des éclats photographiques, moins d’un pouce de long, dans des boîtes archives. Fanny Pentel procède par prélèvement, ces morceaux de peaux qu’elle échantillonne ont moins pour but d’établir des identités que de transcrire l’altérité. Il s’agit de conserver la mémoire d’un échange, d’archiver la sensation d’une rencontre. Est-ce que mon cœur bat plus vite quand je revois celui que j’aime ? Quel est l’effet d’un regard sur la peau ?
La photographie argentique fixe les détails, du tracé des veines aux empreintes digitales. L’artiste fait sienne une philosophie du sensible ; c’est par le toucher que l’on peut appréhender la chose. Le détail nous permet d’entrer dans la matière. Le noir et blanc nous permet de plonger dans les lignes de la main et de remonter les sillons du temps. Le regard se concentre sur le grain de l’image, il y a dans la façon de montrer quelque chose de précieux, comme si nous avions devant nous des pièces à convictions. La peau est ce qu’il y a de plus profond affirmait Valéry[1] : elle est mémoire et miroir de l’intérieur.
L’artiste prolonge le regard pour nous réapprendre à voir. Au delà de la confiance, l’insistance de la poignée de main crée un malaise entre l’artiste et son modèle. Chacun réagit différemment mais nerveusement et spontanément à cette situation volontairement absurde. Quelque chose se tend, il y a dans l’expression corporelle quelque chose de vrai qu’il est difficile de capter. Peut-être du fait de son passé de danseuse, Fanny Pentel est particulièrement attentive à ces vibrations qu’elle s’efforce de retranscrire dans l’ensemble de ses travaux.
Il ne reste à l’observateur que l’image et des couples de mots pour ressentir cette expérience dont il n’est pas le témoin direct. Des mots que chacun des protagonistes, l’artiste et le modèle, ont choisi sans se concerter. Ont-ils perçu de la même façon le moment ? Le souvenir est trompeur. C’est le langage avec ses contradictions qui plus que les détails des photos permet de dire, écrire et vivre. Grammaire de l’échange, vocabulaire de la peau, les registres de Fanny Pentel sont librement accessibles ; l’intimité se vit en partage.
[1] Paul Valéry, L'Idée fixe, 1932, rééd. Gallimard, coll. « Idées », 1966 : « Ce qu'il y a de plus profond en l'homme, c'est la peau »