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WABI SABI
WABI SABI

Installation à dimension variable.

Photographie numérique, sculpture en argile crue, photogrammétrie et modélisation en réalité virtuelle, impression résine photopolymérisée, bloc d’argile, hologramme. Avec l’assistance technique de Joseph Leroy (le temps est bon).

 

Cette installation est issue d’une recherche sur le pouvoir transformateur de la matière. Ici, l’argile est pensée pour combler les manques, les vides ressentis, elle vient combler et augmenter le corps. Loin du concept de transhumanisme qui tend à accroitre les performances, les failles deviennent au contraire, par leur simplicité et leur imperfection des formes autonomes, de l’ornement à l’orthèse.

Le wabi-sabi est une pensée japonaise qui touche à la fois la philosophie, la spiritualité et l’esthétique, elle s’inspire du Bouddhisme Zen et du Taoïsme. L’ancrage premier de cette pensée est d’accepter l’impermanence des choses et de chercher à mener une vie centrée sur l’essentiel. Le concept est apparu au IXème siècle mais l’association des deux mots wabi-sabi s’est faite à partir du XVème siècle dans la littérature japonaise qui tend à décrire la beauté de toutes choses imparfaites et l’acceptation de l’imperfection. Wabi signifie solitude, mais une solitude choisie comme mode de vie simple, proche de la nature. Sabi évoque ce qui s’altère. C’est le goût pour les choses vieillissantes, abîmées, ébréchées.

Dans cette installation, Fanny Pentel évoque les failles, les manques, les vides ressentis ; toutes les fêlures qu’un individu peut, au cours de sa vie, traverser. Le point de départ du projet est de donner forme à ces manques en venant les combler. Dans cette « performance » photographiée, l’argile est utilisée comme matière originelle. En art thérapie, l’argile active une mémoire primitive qui garde enfouis des sensations, des émotions et des ressentis. Sa grande malléabilité permet de donner forme aux brisures intérieures. Elle matérialise ainsi l’imperfection, le sentiment d’incomplétude. Elle vient souligner la fragilité du vivant comme pour le soutenir. L’artiste cherche à faire corps avec la matière comblant les « abîmes ordinaires  »
1 et faire naître un autre corps d’où apparaissent des empêchements, des excroissances, des soutiens, des enveloppes protectrices…

Une des clés de la pensée du wabi-sabi pour atteindre une certaine forme de stabilité est de fonder tout aspect positif avec son corollaire négatif. Le dispositif d’accrochage joue sur cette articulation, les négatifs photographiques montrent le travail de recherche formelle, effectué en amont, comme une danse tantôt en union tantôt en lutte avec la matière. Les positifs sont une forme plus stable pensés comme un état, un portrait, une pause.


« Si tu veux être entier,
laisse-toi être partiel.

Si tu veux être droit,
laisse-toi être tordu.

Si tu veux être plein,
laisse-toi être vide.

Si tu veux renaître,
laisse-toi mourir.

(…) Le Maître, parce qu’il n’a aucun but,
réussit tout ce qu’il fait.   » 2

Les sculptures en argile non cuites comportent les imperfections du geste, des traces, des cassures. Après un long travail de photogrammétrie, de modélisation en réalité virtuelle, ces formes brutes sont ensuite augmentées. L’outil numérique permet d’infinies possibilités de modelage, on entre littéralement dans la matière, elle s’étend, se déforme à volonté. Ces nouvelles formes plus « ornementales » sont comme des extensions du corps, devenues formes autonomes.

Le procédé d’impression 3D DLP  (Digital Light Processing) est une technique intéressante de transformation de la matière liquide en élément solide, un monomère se transforme en polymère grâce à des projections UV. C’est une réaction chimique qui, en fonction du temps et de la température conduit la résine à se solidifier en matière irréversible alors que l’argile non cuite, plongée dans l’eau peut retrouver sa matérialité initiale. L’association de ces deux techniques met en exergue un point de friction entre la pensée orientale et occidentale et révèle un lâcher-prise impossible. La pratique du numérique garde en mémoire, permet la reproduction, la modification et la conservation de la forme et rappelle la difficulté voire l’impossibilité de se résoudre à la perte, à la finitude. Matérialiser les manques rappelle le Kintsugi ; la méthode japonaise de réparation des bols avec de la laque à base d’or qui permet d’admirer les imperfections; trouver de la beauté dans nos failles.

1.Catherine Millot, Abîmes Ordinaires, Gallimard, coll. « L’infini », 2001, 154 pages. Abîmes ordinaires est un essai de psychanalyse qui se lit comme un roman.

2.Tao Te King, 22.

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